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"Elégie" by Louise Labé
annotated by Stacy Barlow

D'un tel vouloir le serf point ne desire
La liberté
, ou son port le navire
Comme j'atens, hélas ! de jour en jour
De toy, amy, le gracieux retour.
Là j'avois mis le but de ma douleur,
Qui fineroit quand j'aurois ce bon heur
De te revoir ; mais de la longue atente,
Helas ! en vain mon desir se lamente.
Cruel, cruel, qui te faisoit promettre
Ton brief retour en ta premiere lettre ?
As tu si peu de memoire de moy
Que de m'avoir si tôt rompu la foy ?
Comme oses-tu ainsi abuser celle
Qui de tout temps t'a esté si fidelle ?
Or' que tu es auprès de ce rivage
Du Pau Cornu, peut estre ton courage
S'est embrasé d'une nouvelle flame,
En me changeant pour prendre une autre Dame :
Ja en oubli, inconstamment est mise
La loyauté que tu m'avois promise.
S'il est ainsi, et que desja la foy
Et la bonté se retirent de toy :
Il ne me faut emerveiller si ores
Toute pitié tu as perdu encores.
O combien ha de pensée et de creinte,
Tout a par soy, l'ame d'Amour ateinte !
Ores je croy, vu notre amour passée,
Qu'impossible est, que tu m'aies laissée :
Et de nouvel ta foy je me fiance,
Et plus qu'humeine estime ta constance.
Tu es, peut estre, en chemin inconnu
Outre ton gré malade retenu.
Je croy que non : car tant suis coutumiere
De faire aus Dieus pour ta santé priere
Que plus cruels que tigres ils seroient,
Quand maladie ils te prochasseroient :
Bien que ta fole et volage inconstance
Meriteroit avoir quelque soufrance.
Telle est ma foy, qu'elle pourra sufire
A te garder d'avoir mal et martire.
Celui qui tient au haut Ciel son Empire
Ne me sauroit, ce me semble, desdire :
Mais quand mes pleurs et larmes entendroit
Pour toy prians, son ire il retiendroit.
J'ai de tout tems vescu en son service,
Sans me sentir coupable d'autre vice
Que de t'avoir bien souvent en son lieu
D'amour forcé, adoré comme Dieu.
Desja deus fois depuis le promis terme
De ton retour, Phebe ses cornes ferme,
Sans que de bonne ou mauvaise fortune
De toy, Ami, j'aye nouvelle aucune
.
Si toutefois, pour estre enamouré
En autre lieu, tu as tant demeuré,
Si say je bien que t'amie nouvelle
A peine aura le renom d'estre telle,
Soit en beauté, vertu, grace et faconde,
Comme plusieurs gens savans par le monde
M'ont fait à tort, ce croy je, estre estimée.
Mais qui pourra garder la renommée ?
Non seulement en France suis flatée,
Et beaucoup plus, que ne veus, exaltée.
La terre aussi que Calpe et Pyrenée
Avec la mer tiennent environnée
,
Du large Rhin les roulantes areines,
Le beau païs auquel or' te promeines
Ont entendu (tu me l'as fait à croire)
Que gens d'esprit me donnent quelque gloire.
Goute le bien que tant d'hommes desirent :
Demeure au but où tant d'autres aspirent :
Et croy qu'ailleurs n'en auras une telle.
Je ne dy pas qu'elle ne soit plus belle :
Mais que jamais femme ne t'aymera,
Ne plus que moy d'honneur te portera.
Maints grans Signeurs à mon amour pretendent,
Et à me plaire et servir prets se rendent,
Joutes et jeus, maintes belles devises
En ma faveur sont par eus entreprises :
Et neanmoins tant peu je m'en soucie,
Que seulement ne les en remercie :
Tu es, tout seul, tout mon mal et mon bien ;
Avec toy tout, et sans toy je n'ay rien ;
Et, n'ayant rien qui plaise à ma pensée,
De tout plaisir me treuve delaissée,
Et, pour plaisir, ennui saisir me vient.
Le regretter et plorer me convient,
Et sur ce point entre en tel desconfort
Que mile fois je souhaite la mort.
Ainsi, Ami, ton absence lointeine
Depuis deus mois me tient den cette peine,
Ne vivant pas, mais mourant d'un Amour
Lequel m'occit dix mille fois le jour.
Revien donq tost, si tu as quelque envie
De me revoir encor' un coup en vie
Et si la mort avant ton arrivée
Ha de mon corps l'aymante ame privée,
Au moins un jour, vien, habillé de deuil,
Environner le tour de mon cercueil.
Que plust à Dieu que lors fussent trouvez
Ces quatre vers en blanc marbre engravez :
Par toy, ami, tant vesqui enflammée
Qu'en languissant par feu suis consumée,
Qui couve encor sous ma cendre embrazée
Si ne la sens de tes pleurs apaizée.